Ransomware : deux syllabes, des conséquences colossales. J'ai accompagné des équipes produit et des DSI qui, parfois, ont senti venir l'orage avant qu'il ne frappe vraiment. Ce qui revient souvent : ce ne sont pas toujours des alarmes bruyantes mais des signaux faibles, des micro-anomalies dans les logs, des comportements utilisateurs ou systèmes qui, cumulés, dessinent une trajectoire dangereuse. Dans cet article je partage ce que j'observe et mets en pratique — signaux à surveiller, outils et routines opérationnelles — pour détecter une attaque par ransomware avant le chiffrement massif des données.
Pourquoi chercher les signaux faibles ?
Les ransomware modernes combinent techniques de pénétration, mouvements latéraux et sabotage. Les détections basées uniquement sur les signatures sont dépassées : les attaquants adaptent les charges et utilisent des outils légitimes (Living off the Land). Chercher les signaux faibles, c'est identifier des ruptures de comportement avant l'activation finale du ransomware — gagner du temps pour isoler, analyser et remédier.
Signaux faibles que j'ai appris à reconnaître
- Pic d'activités d'authentification : échecs de connexion inhabituels, tentatives à heures improbables ou depuis des IPs externes. Un compte admin qui s'authentifie en dehors des heures habituelles mérite une enquête.
- Élévation de privilèges soudaine : création ou modification de comptes avec droits étendus, associations de comptes à des groupes sensibles.
- Mouvements latéraux : connexions RDP/SMB entre machines qui ne communiquent pas habituellement, exécution de tâches à distance (psexec, winrm) depuis un poste inattendu.
- Accès massif à fichiers : lecture/accès soudain et intensif à partages réseau ou répertoires contenant des données sensibles.
- Modification des sauvegardes : tentatives de suppression ou de chiffrement des snapshots ou des backups (AWS S3, Azure Blob, Veeam, etc.).
- Processus inhabituels : exécution d'outils de compression/chiffrement sur des endpoints, élévation du nombre de processus nouveaux (ex. 7zip, rundll32 appelant des DLL inconnues).
- Communication sortante anormale : trafic sortant chiffré vers des IPs peu connues, DNS exfiltration (requêtes DNS volumineuses ou longues), ou beaconing régulier.
- Fichiers laissés sur les endpoints : dropped ransom notes, exécutables non signés dans des répertoires temporaires.
Sources de télémétrie à exploiter
Pour détecter ces signes il faut capter la bonne télémétrie et la corréler.
- Logs d'authentification : Active Directory, Azure AD, logs d'auth NGINX/Okta.
- EDR (Endpoint Detection & Response) : journaux de processus, résilience des tampons, hooks réseau.
- SIEM : centraliser et corréler les événements (Splunk, Elastic, Azure Sentinel, Sumo Logic).
- Logs cloud : CloudTrail, Azure Monitor, GCP Cloud Audit — surveiller les modifications IAM, les suppressions de buckets, les snapshots.
- Flux réseau : NetFlow, logs proxy, DNS logs.
- Intelligence sur les menaces : listes d'IOCs, domaines/IPs malveillants, YARA/Sigma rules provenant de sources publiques ou commerciales.
Règles et détections pratiques (que j'utilise)
Voici des exemples de détections à implémenter, adaptables selon votre stack.
- Détection de pico-beaconing : alertes sur connexions sortantes répétées et régulières vers une IP inconnue (ex: intervalle 1–30 min, 10+ fois en 24h).
- Accès massif à fichiers sensibles : seuils sur le nombre d'ouvertures/lectures de fichiers par un utilisateur sur un chemin réseau précis.
- Suppression/altération de backups : alerte si une opération de suppression affecte plus de X snapshots ou plus de Y objets S3 en moins de Z minutes.
- Exécution d'outils de posture (mimikatz, psexec, rclone) : signatures d'EDR ou règles Sigma pour les processus et arguments suspects.
- Elevation de privilèges administrative : création/modification de membres d'un groupe AD critique (Domain Admins).
Outils et frameworks que je recommande
Je fais souvent appel à une combinaison d'outils pour couvrir plusieurs angles :
- EDR : CrowdStrike, Microsoft Defender for Endpoint, SentinelOne — pour détection comportementale et quarantaines rapides.
- SIEM/SoC : Elastic SIEM, Splunk, Azure Sentinel — corrélation et playbooks d'automatisation.
- Threat Intel & règles : YARA pour fichiers, Sigma pour traduire règles en requêtes compatibles SIEM, MISP pour partager des IOCs.
- Honeypots et leurres : Canarytokens, T-Pot pour détecter les scanners et mouvements latéraux.
- Outils de détection réseau : Zeek/Bro, Suricata pour détection IDS/IPS réseau.
- Backup immuable : solutions supportant l'immutabilité (object locking S3, Veeam immutability) pour résister aux suppressions.
Exemples concrets de règles Sigma
Je traduis souvent des hypothèses en règles Sigma simples : par exemple, alerter quand un processus PowerShell lance une commande de téléchargement vers un domaine inconnu ET plus de 10 connexions réseau sortantes en 1h. La puissance de Sigma est d'industrialiser ces detections vers Splunk/Elasticsearch/Sentinel.
Playbook de réponse rapide (quelques étapes que j'ai appliquées)
- Isolation segmentée : couper ou microsegmenter l'accès réseau des hôtes suspects (pas besoin de tout couper si on peut isoler).
- Forensique rapide : collecter la mémoire, les processus en cours, les connexions réseau et le shadow copy state.
- Bloquer IOC & user accounts : bloquer IPs, domaines et comptes compromis dans l'AD et proxys.
- Vérifier l'intégrité des sauvegardes : s'assurer d'avoir des sauvegardes immuables saines avant toute restauration.
- Communiquer : activer le plan de crise, informer les décideurs et obligations légales (CNIL, CERT) si nécessaire.
Organisationnel : ce qui marche sur le long terme
Au-delà des outils, j'insiste sur trois pratiques organisationnelles :
- Baselines comportementales : connaître le "normal" pour détecter l'anomalie. Sans baseline, beaucoup de signaux faibles passent inaperçus.
- Tabletop et jeux de rôle : s'exercer à la réponse permet de réduire les temps de décision et d'éviter les erreurs opérationnelles.
- Culture de logs et de sauvegardes : investir dans la qualité des logs et garantir des sauvegardes immuables et testées.
Comparatif rapide d'approche — outils maniables selon budgets
| Budget | Approche recommandée | Points forts |
|---|---|---|
| Élevé | EDR + SIEM + Threat Intel commercial | Détection avancée, automatisation, support fournisseurs |
| Moyen | EDR + Elastic/Splunk OSS + Sigma rules | Bonne couverture comportementale, extensible |
| Petit | Honeypots + journaux consolidés (CloudTrail/DNS) + backups immuables | Coût limité, focus sur détection précoce et résilience |
Repérer un ransomware avant le chiffrement est souvent une question d'anticipation : capter la bonne télémétrie, automatiser les corrélations, et surtout entraîner les équipes à lire et réagir aux signaux faibles. Quand l'alerte se déclenche, c'est rarement la technologie seule qui sauve la situation, mais la combinaison d'outils appropriés, de processus robustes et d'une équipe prête à agir.