Quand on lance une startup sans équipe data dédiée, la gouvernance des données peut sembler un luxe réservé aux grandes entreprises. Pourtant, je suis convaincue — et j’ai pu le vérifier en accompagnant de nombreuses jeunes pousses — que poser des règles simples et pragmatiques dès les premiers jalons évite des crises futures : mauvaise qualité des données, risques de conformité, décisions biaisées ou verrouillage technique. Voici comment je construis une stratégie de gouvernance des données adaptée à une petite structure, avec des actions concrètes et directement opérationnelles.

Partir d’un périmètre clair et utile

La tentation est grande de vouloir gouverner « toutes les données ». J’évite cette erreur en commençant par définir un périmètre prioritaire : les données qui alimentent le produit, les indicateurs de croissance (chiffre d’affaires, activation, rétention) et les données à caractère personnel qui impliquent des obligations réglementaires.

Concrètement, je propose de cartographier en une page les sources (formulaires, base produit, analytics, CRM), les destinations (dashboards, exports marketing, partenaires) et les flux critiques. Ce schéma simple suffit pour identifier les zones à protéger et celles qui peuvent rester flexibles.

Définir des rôles minimalistes et responsabilisants

Sans équipe data, les responsabilités ne disparaissent pas : elles se distribuent. J’adopte un modèle « RACI » épuré :

  • Responsable : une personne produit ou ops qui supervise la qualité des indicateurs
  • Acteurs : développeurs et growth qui produisent et consomment les données
  • Consulté : un freelance data ou consultant externe si nécessaire
  • Informé : direction et parties prenantes clés

Ce découpage évite l’effet « personne n’est responsable ». J’aime nommer un « data champion » parmi les product owners qui s’engage à maintenir le catalogue de données et à faire le lien entre équipes.

Mettre en place un catalogue léger

Pas besoin d’un logiciel d’entreprise pour commencer. Un Google Sheet ou Notion bien structuré fait l’affaire. Les colonnes essentielles :

  • Nom de la donnée (événement, table, champ)
  • Description courte et usage
  • Propriétaire
  • Sensibilité (publique / interne / personnelle)
  • Source & fréquence de mise à jour
  • Qualité (ex. % de complétude) et dernière vérification

Ce catalogue devient la référence pour tout développement et pour la formation des nouveaux arrivants. Si votre startup grandit, des outils comme Amplitude, Metabase ou des catalogues open source (DataHub, Amundsen) pourront reprendre ce travail.

Standardiser les événements et schémas

Quand j’interviens sur des architectures naissantes, je recommande d’adopter rapidement une convention de nommage pour les événements analytics et les colonnes de base de données. Cela évite les doublons et les interprétations divergentes.

Exemples de règles simples :

  • Événements produits : verbe_en_minuscule_objet (ex. login_success, plan_upgrade)
  • Champs temporels : created_at / updated_at en ISO 8601
  • Identifiants : user_id (interne) et external_id (si nécessaire)

Pour le tracking, j’ai souvent utilisé Segment ou Snowplow en phase early-stage, car ils facilitent la gouvernance des schémas via des catalogues d’événements.

Automatiser les contrôles de qualité simples

La data quality ne nécessite pas toujours des outils sophistiqués. Quelques contrôles automatisés suffisent :

  • Tests de présence (ex. absence d’identifiants sur les événements critiques)
  • Contrôles de volumétrie (comparaison journalière/hebdomadaire)
  • Alertes de croissance anormale (x fois la moyenne)

Ces tests peuvent être intégrés dans vos pipelines CI/CD ou exécutés via des jobs cron simples. Des outils comme Great Expectations sont utiles si vous voulez industrialiser, mais on peut commencer avec des scripts Python et des jobs Heroku / GitHub Actions.

Gouvernance et conformité : garder l’essentiel

Le RGPD et autres obligations doivent être prises au sérieux, même pour une petite structure. Voici les actions pragmatiques que je préconise :

  • Identifier les données personnelles et leur finalité dans le catalogue
  • Mise en place d’un processus de suppression et d’export des données utilisateurs
  • Registre des traitements minimal (peut tenir sur une feuille) mentionnant finalités et sous-traitants
  • Vérifier que les prestataires (ex. AWS, Google Cloud, Stripe) ont des garanties contractuelles

Je recommande aussi d’intégrer un composant « privacy-by-default » dans les formulaires et les flows produits — opt-ins clairs, conservation limitée des logs, anonymisation quand possible.

Documenter les décisions et créer une culture

La meilleure gouvernance, c’est celle qui est comprise et pratiquée. Je consacre du temps à partager des mini-guides internes et à faire des revues trimestrielles des principales métriques et règles. Quelques initiatives à lancer :

  • Un guide « onboarding data » pour les nouveaux devs et PMs
  • Revues de qualité de données tous les mois (15-30 minutes)
  • Un canal Slack dédié pour les questions data

Ces rituels renforcent la responsabilité collective et réduisent les risques liés aux mauvaises interprétations.

Quand externaliser et comment choisir un partenaire

Si la complexité croît, externaliser une partie (ops, modélisation, gouvernance) peut être économique. Je choisis des partenaires qui :

  • Proposent un transfert de compétences (mentorat)
  • Sont familiers avec l’écosystème choisi (BigQuery, Snowflake, dbt)
  • Ont des références startup et une approche pragmatique

Une alternative efficace : engager un freelance senior 0.5j-1j/semaine pour structurer le catalogue, implémenter les tests et former l’équipe. J’ai vu ce modèle fonctionner mieux que des contrats onéreux à temps plein quand les volumes restent modestes.

Métriques de succès simples à suivre

Pour évaluer l’efficacité de votre gouvernance, suivez des indicateurs faciles à mesurer :

  • % d’événements documentés dans le catalogue
  • Nombre d’incidents data (anomalies, erreurs) par mois
  • Délai moyen pour résoudre une alerte
  • Temps d’intégration des nouveaux employés sur les sujets data

Ces KPI vous montrent si vos règles sont appliquées et où investir ensuite.

Construire une gouvernance des données pour une startup sans équipe dédiée, ce n’est pas établir un manuel exhaustif, mais instaurer des pratiques robustes, simples et évolutives. L’objectif est d’équiper l’équipe pour prendre de bonnes décisions, protéger les personnes et conserver la flexibilité nécessaire à l’innovation. Si vous voulez, je peux partager une template Google Sheet de catalogue et un checklist d’audit rapide pour démarrer en moins d’une journée.