Choisir entre une solution SaaS ou self‑hosted pour la gestion des logs devient vite un casse‑tête quand s'ajoutent des contraintes de conformité. J'interviens souvent auprès d'équipes produit et de DSI sur ce sujet : la décision n'est rarement binaire, elle dépend d'un ensemble d'impératifs techniques, juridiques et organisationnels. Voici comment je structure le raisonnement et les critères qui m'aident à prendre — ou à recommander — une direction.

Commencer par cadrer les exigences de conformité

Avant tout, je commence par lister les règles et obligations qui s'appliquent à l'organisation et aux données traitées. Parmi les plus fréquentes :

  • Règlementation de protection des données (GDPR) : exigences de transfert, durée de conservation, droit d'accès.
  • Réglementations sectorielles : HIPAA pour la santé, PCI‑DSS pour les cartes bancaires.
  • Contraintes locales de souveraineté des données (data residency).
  • Normes et certifications exigées par les partenaires ou clients : ISO 27001, SOC 2, etc.
  • Cette checklist de conformité détermine souvent des non‑négociables. Par exemple, si vos logs contiennent des données personnelles sensibles et que la régulation exige que les données restent dans un territoire donné, cela oriente immédiatement vers du self‑hosted ou vers un SaaS proposant explicitement l'hébergement localisé et des garanties contractuelles solides.

    Contrôle des données et chiffrement

    L'un des bénéfices majeurs du self‑hosted est le contrôle strict sur les clés de chiffrement et l'environnement d'exécution. Si vous devez gérer vos propres clés (customer‑managed keys) pour répondre à une exigence de non‑exposition aux équipes du fournisseur, le self‑hosted ou un SaaS offrant KMS dédié est nécessaire.

  • Chiffrement en transit et au repos : exigence minimale.
  • Gestion des clés : clefs gérées par le client vs clefs gérées par le fournisseur.
  • Pseudonymisation/anonymisation : parfois demandée avant stockage des logs.
  • Dans certains projets, j'ai vu des équipes opter pour Elastic Stack self‑hosted parce qu'elles pouvaient intégrer leur HSM et leurs procédures de rotation des clés. À l'inverse, des versions managées comme Elastic Cloud ou Splunk Cloud proposent des options de clé client mais à des conditions contractuelles strictes.

    Isolation et multi‑tenancy

    Les SaaS multi‑tenant soulèvent des questions de cohabitation. Même si la plupart des acteurs sérieux assurent une isolation forte, certaines organisations préfèreront une instance dédiée ou le self‑hosted pour éviter tout risque théorique de fuite inter‑locataire.

  • SaaS multi‑tenant : plus économique, mais besoin d'audits et garanties.
  • SaaS dédié / instance privée : compromis possible (coût plus élevé).
  • Self‑hosted : contrôle maximal, responsabilité de la sécurisation.
  • Traçabilité, audits et preuves de conformité

    Les équipes conformité demandent souvent des preuves — journaux d'accès, rotations de clés, rapports d'audit. Les SaaS matures fournissent des rapports de conformité (SOC 2, ISO 27001) et des journaux d'audit prêts à l'emploi. En self‑hosted, vous devez concevoir et produire ces éléments vous‑mêmes.

  • Disponibilité des rapports audités (SOC/ISO).
  • Capacités d'exporter les logs d'audit et de démontrer intégrité et non‑altération.
  • Support pour la conservation légale et les délais de rétention définis.
  • Opérationnel : coûts, équipe et SLA

    La décision dépendra aussi de vos ressources. Le self‑hosted implique :

  • Maintenance des clusters (indexation, sharding, compactage).
  • Mises à jour de sécurité et tests de compatibilité.
  • Surveillance de la performance et scalabilité sous pics.
  • Le SaaS externalise ces opérations : gain de temps, montée en charge automatique, SLA. Mais attention aux coûts : le pricing des fournisseurs (Datadog, Splunk Cloud, Elastic Cloud, Grafana Cloud) peut exploser avec le volume de logs et la rétention. J'ai vu des startups payer cinq fois plus que prévu en trois mois à cause d'un logging trop verbeux.

    Performance et scalabilité

    Les volumes de logs peuvent croître très vite. Les architectures cloud managées offrent une scalabilité quasi transparente. En self‑hosted, il faut anticiper la capacité (IOPS, stockage, CPU) et automatiser l'élasticité si possible. Pensez aussi au coût d'indexation : indexer tout le flux n'est pas toujours nécessaire, la priorisation et le sampling sont des leviers à utiliser.

    Intégration avec SIEM et réponse à incident

    La capacité à intégrer votre solution de logs avec un SIEM, un EDR, ou un SOC est cruciale pour la conformité opérationnelle (exigences de détection et réponse). Vérifiez :

  • Connecteurs natifs vers vos outils de sécurité.
  • Latence d'ingestion et temps de recherche : impact sur l'investigation.
  • Facilité d'export vers un tiers pour une analyse externe en cas d'audit.
  • Options hybrides et patterns pratiques

    Souvent, je préconise une approche hybride :

  • Logs applicatifs non sensibles en SaaS pour observabilité (ex : Grafana Cloud, Datadog).
  • Logs contenant PII, transactions financières ou données réglementées en self‑hosted ou dans une instance dédiée/zone locale chez le fournisseur.
  • Archivage à froid chiffré dans des buckets cloud controlés par le client pour répondre aux délais de rétention légale.
  • Ce pattern permet de bénéficier de la commodité du SaaS tout en respectant les exigences de conformité pour les données critiques.

    Tableau de décision rapide

    CritèreSaaS recommandéSelf‑hosted recommandé
    Data residencyPossible si fournisseur propose région dédiéeOui, contrôle total
    Gestion des clésSi KMS client disponibleOui, intégration HSM possible
    Budget opérationnelPrévisible OPEX, coût potentiellement élevé selon volumeCapEx + coûts internes, peut être moins cher à gros volume
    Maintenance / compétencesMinime côté clientExige équipes SRE/infra
    Rapports d'auditFournis par fournisseurÀ produire en interne

    Processus concret pour décider

    Voici la démarche que j'applique systématiquement :

  • 1) Cartographier les types de logs (app, infra, transactionnel, authentification) et identifier ceux soumis à contraintes.
  • 2) Evaluer volumes actuels et projections sur 12‑24 mois. Simuler coûts SaaS selon modèles tarifaires.
  • 3) Lister exigences légales et demandes clients/partenaires. Prioriser non‑négociables.
  • 4) Réaliser un POC : test d'ingestion, recherche, export, temps de restauration pour un scénario d'incident.
  • 5) Négocier contrats : DPA, SLA, localisation des données, accès aux audits, clauses de sortie (portabilité des logs).
  • 6) Mettre en place mesures compensatoires (chiffrement, tokenisation) si vous utilisez un SaaS mais devez protéger certains champs.
  • Clauses contractuelles et sorties

    Je recommande de prêter une attention particulière à :

  • Clause de localisation des données et sous‑traitants.
  • DPA (Data Processing Agreement) et responsabilités en cas de violation.
  • Accès aux journaux d'audit et droits d'audit chez le fournisseur.
  • Clauses de portabilité : export des logs en format standard et délais de remise.
  • Lors d'un projet récent, un client a failli se retrouver coincé parce que son SaaS ne permettait pas d'exporter aisément de grandes quantités de logs compressés — une clause de sortie aurait évité le verrouillage.

    Bonnes pratiques à mettre en œuvre

  • Limiter la verbosité des logs et appliquer du sampling pour réduire les coûts et la surface à protéger.
  • Masquer ou pseudonymiser les champs sensibles avant ingestion si possible.
  • Automatiser la rotation de clés et la gestion de la rétention pour prouver la conformité.
  • Documenter les flux de données et maintenir un registre des traitements accessible aux auditeurs.
  • En somme, il n'y a pas de solution universelle. Mon approche consiste à aligner exigences réglementaires, capacité d'opération interne, et impératifs financiers. Quand la conformité impose un contrôle stricte et des preuves d'isolation, le self‑hosted ou une instance dédiée s'impose souvent. Quand la rapidité de déploiement, la résilience et la scalabilité sont prioritaires — et que le fournisseur offre des garanties contractuelles et techniques — le SaaS est un choix pragmatique. Enfin, ne sous‑estimez pas les options hybrides : elles permettent de tirer parti des forces de chaque modèle tout en respectant les contraintes critiques.